Les décors sont pour beaucoup dans le succès de Queer As Folk. Leur raffinement, le soin apporté aux détails en font de véritables lieux de vie qui donnent toute leur crédibilité aux personnages. Dan Lipman et Ron Cowen sont particulièrement méticuleux à ce sujet. Pour l’équipe de décorateurs, qui doit souvent travailler au jour le jour, c’est parfois mission impossible.

Toutes les scènes d’intérieur sont tournées dans ce bâtiment situé à Toronto, “Temple Street Productions”. Entrons et voyons ce qui se passe derrière ces murs en béton. C’est un vrai labyrinthe dans lequel on peut facilement se perdre.

Au centre, un carrefour indique la direction des décors : le loft de Brian, l’appartement de Ted, chez Michael, chez Lindsay et Melanie...

A l’origine, il n’avait été prévu que dix-sept décors différents. Au cours du tournage, il a fallu en créer de nouveaux, ruser, réutiliser les murs d’une pièce pour servir à une autre. Puis les emboîter les uns dans les autres. Les acteurs et les techniciens devaient circuler dans une sorte de taupinière fléchée pour aller jouer leurs scènes.

A partir de la saison 2, l’espace étant devenu trop petit pour satisfaire l‘exigence des producteurs, il a fallu louer de nouveaux locaux.

Voici l’histoire de quelques-uns des principaux décors de la série : 

LE LOFT est sans doute le décor le plus fascinant de QAF. Ingrid Jurek, chef décoratrice, se souvient pourtant que, la veille du premier jour de tournage, rien n’était prêt. Au matin, pendant que Gale Harold et Randy Harrison jouaient leur première scène, celle de la douche, les peintres n’avaient pas encore terminé le mur de la chambre.

Selon Megan Less, décoratrice de plateau : “Le loft est la forteresse de Brian. Il l’a conçu à son image. Sa vie est dépravée, mais son environnement est clean. Il suit les nouvelles tendances dans des magazines, et achète sur des coups de coeur. Il a du goût, et sait habilement mélanger des éléments modernes et classiques. Il ne veut pas dévoiler sa personnalité aux autres, et ses meubles suivent cette règle : il les choisit pour leur esthétisme, mais il n’y est pas attaché.”

En fait, le loft évolue en même temps que Brian. Lorsqu’il ouvre la fameuse porte métallique dans l’épisode 101 (photo 6) et que l’on découvre l’endroit en même temps que Justin, cela correspond à la description faite par Megan Less. Mais au fur et à mesure qu’il accepte Justin dans sa vie, il accepte aussi un peu plus de désordre dans le loft. On retrouve la froideur impersonnelle de l’endroit dans l’épisode 301, dès que Justin n’y est plus (photo 7).

Les points forts :

La chambre, comme une île posée au milieu du loft sur une estrade, avec des jeux de lumière bleutée et de cloisons vitrées favorisant le voyeurisme. Pour Brian, c’est le lieu stratégique où tout se joue quand il est chez lui.

La peinture murale. Elle est signée Richard Lukacs. Celui-ci, inspiré par l’expressionnisme abstrait, a peint de nombreux nus masculins, ce qui lui a valu une réputation d’ “artiste homo érotique”. Pour l’anecdote, c’est l’original de l’oeuvre qui figure dans le pilote de la série. Ensuite, effrayés de garder un objet de prix constamment sur le plateau, les producteurs en ont fait faire une copie.

Le raffinement suprême : à côté des toilettes, il y a un présentoir à magazines.

Sérieusement, vous pensiez que Brian pouvait laisser traîner des piles de journaux par terre ?

Le palier du loft : tous les décors étant construits de plein pied, il n’existe pas d’escaliers. Grâce à un trompe-l’oeil peint sur le mur du couloir, à une illusion due à la lumière, l’angle de prise de vues et au jeu des acteurs, on a l’impression qu’ils montent ou descendent d’un demi-étage.

LE BABYLON

Des centaines de bras levés, des faisceaux lumineux multicolores tournoyant, des pluies de confettis argentés... C’est le lieu de tous les fantasmes et de toutes les folies. Tout le monde y est jeune, beau, parfait - le temps d’une soirée.

On y trouve des marins, des diables, des policiers, de cow-boys, et... même des poupées Barbie....

On s’y bouscule pour la soirée mousse, la soirée cuir, ou l’élection du roi du Babylon.

C’est le décor le plus caméléon de la série. Les premières scènes ont d’abord été tournées dans de vrais clubs de Toronto, puis à l’intérieur du studio, pour finir dans un studio extérieur. Si l’on y prête attention, on remarque les changements de volumes, les différentes situations des toilettes, qui sont tantôt au sous-sol, tantôt en étage. La back-room aussi est toujours différente. Mais comme c’est un endroit qui change selon les soirées à thème, et qui doit offrir des nouveautés toujours plus sensationnelles à ses clients, il est logique que le Babylon ne soit jamais le même.

CHEZ DEBBIE

On pourrait dire que c’est l’antithèse du loft de Brian. Le papier peint années 70 couleur caca d’oie arrache la rétine. Le mobilier est un bric-à-brac d’éléments sans doute récupérés à droite et à gauche, et les pièces sont surchargées d’objets hétéroclites. Debbie a peu d’argent, mais elle ne peut résister à l’achat de bibelots bon marché. Elle bricole beaucoup : elle a probablement fabriqué elle-même les coussins, les housses et les plaids. Pour organiser ce décor, Megan Less a couru les brocantes. Elle est particulièrement fière d’avoir trouvé, pour 140 dollars, un canapé et deux chaises 1976 avec leur capitonnage d’origine en velours jaune banane.

Partout chez elle, il y a des accessoires couleur arc-en-ciel, symbole de son engagement pour la communauté gay.

Chez Debbie, la cuisine est la pièce la plus importante. On y prépare les repas, on y mange, on y raconte ses petits secrets et on y règle ses comptes.

L’ancienne chambre de Michael est immuable : rideaux et couvre-lit Captain Astro, panneau sur lequel Michael a épinglé ses souvenirs. Lorsque Justin y habite, il ne touche à rien. Cette pièce est symbolique de l’arrêt du temps pour Michael : il est resté à l’âge de 14 ans.

CHEZ MICHAEL ET EMMETT

Michael a longtemps vécu chez sa mère, et il en a gardé un certain goût pour la déco kitch. Mais surtout, c’est la BD qui domine chez lui. Il a des bustes, des posters, des figurines de ses héros, Captain Astro en tête.

L’espace commun qu’il partage avec Emmett est un mélange des fanfreluches chères à Emmett et des babioles de Michael. Lorsque Michael part, Emmett gagne tout le terrain : les abat-jours sont ornés de peluche rose, les chaises sont recouvertes de tissu doré, les coussins sont en forme de coeur.

CHEZ TED

Il est limite maniaque, très classique. Ses meubles doivent être avant tout solides et fonctionnels. Il aime les plantes, en prend grand soin, et adore par-dessus tout l’opéra. Un poster de “Aïda” trône dans la cuisine, et une partition est encadrée dans le salon.

Son frigo, la porte intérieure de son placard de chambre et ses tables sont couverts de photos de Michael et d‘Emmett.

CHEZ LINDSAY ET MELANIE

Les deux filles ont sans doute meublé leur maison biscornue avec des choses données par leurs familles, puis elles ont complété avec des éléments chinés dans les brocantes. Elles aiment les meubles anciens en bois, les jolies lampes rétro, les couleurs et les matières chaleureuses.

Ingrid Jurek se souvient que, lors du tournage de la première saison, la chambre était un décor coincé entre deux autres, que l’on montait pour la scène et que l’on démontait aussitôt après. Pour la saison 2, elle a fait construire un escalier, qui permettait de montrer le hall d’entrée, donnant ainsi du réalisme à leur habitat.

LE WOODY’S

Il existe un véritable bar “Woody’s” à Toronto. Les producteurs Ron Cowen, Daniel Lipman et Tony Jonas l’ont visité et ont tout de suite dit : “C’est exactement ce qu’il nous faut”.

“Nous l’avons donc créé à l’identique, dit Ingrid Jurek. C’est un lieu assez sombre, aussi avons-nous dû ajouter des néons et des sources lumineuses. Ce décor a été particulièrement compliqué à faire, car il fallait que tout paraisse vieux, usé. Les fenêtres sont condamnées, car nous devions suggérer que l’endroit avait été autrefois quelque chose de différent, transformé en bar. C’est pourquoi il y a un mur de briques d’un côté, un mur peint de l’autre.

Les garçons se donnent en général rendez-vous ici avant d’aller au Babylon. Ils discutent, regardent la télé ou jouent au billard et aux fléchettes.

LE LIBERTY DINER

Les scènes du pilote ont été tournées à l’extérieur, puis un vrai décor a été construit à l’intérieur du studio.

“A chaque fois, dit Megan Less, c’est un vrai casse-tête, car il y a souvent toute l’équipe au diner. En fait, l’endroit est minuscule, et tous les éléments sont amovibles pour permettre de faire bouger les caméras autour des personnages.”

Ron Cowen a tenu à ce que les additions soient réelles. Derrière le bar, tout est disposé comme dans un vrai diner. Même si on ne le voit pas à l’image. On est maniaque, ou on ne l’est pas !

D’épisode en épisode, le lieu s’est enrichi de nouveaux éléments. Le Liberty Diner change de look en fonction des événements, comme le jour de la gay pride.

CHEZ DAVID

Sa maison a été conçue et meublée par un architecte. Aucune faute de goût n’y est admise... et Michael l’a bien compris en apportant tout son fourbi quand il a emménagé.

David a pourtant fait quelques concessions. Il a accepté que Michael mette sa touche personnelle dans cet endroit qui ressemble à un musée d’art déco.

LA BOUTIQUE DE MICHAEL

Michael a racheté la vieille boutique de Buzzy et a conservé l’esprit années 60 du lieu, mais tout est bien classé, et il y a apporté ses trésors personnels. L’effigie de Captain Astro trône au-dessus de la caisse.

Mara McSweeny, chargée des autorisations légales, a trouvé tous les éléments pour créer une vraie librairie de comics, et a convaincu les responsables de Marvel de leur fournir la plupart des BD qui apparaissent dans les rayons.

CHEZ BEN

Tout est simple, mais cosy. Il y a surtout des livres et des statues de Bouddha, les deux passions de Ben. L’endroit est chaleureux, on sent que Ben aime bien rester chez lui. Avant de rencontrer Michael, il ne sortait pas, et devait y passer toutes ses soirées à lire et à méditer.

CHEZ ETHAN

Le décor-cauchemar de Thom Best, directeur de la photo, et de l’équipe technique. L’endroit était si petit que pour bouger les caméras, il fallait tout démonter à chaque prise. A la fin du tournage de la dernière scène, Thom s’est senti tellement soulagé qu’il a commencé à le démolir à coups de pieds.

On sait que Ethan ramasse des meubles dans la rue ou dans les poubelles. Son appartement sous les toits est un capharnaüm qui semble tout juste propre. L’amour rend vraiment aveugle, n’est-ce pas, Justin ?

CHEZ GEORGE

Dans sa grande maison qui, d’après Emmett, ressemble à Buckingham Palace, les meubles de prix sont discrets et raffinés. George aime le confort mais pas le tape-à-l’oeil. Il y a des cheminées, des fauteuils profonds, des boiseries précieuses et un piano.

George, c’est la classe sur tous les plans, et son décor lui ressemble. Il est généreux, et prête sa salle de bal pour le mariage de Lindsay et Mélanie

LE SITE PORNO DE TED

C’est un endroit un peu miteux, avec des murs de briques et une porte en contre-plaqué.

Emmett y apporte une touche de luxe clinquant en exigeant un lit rond tournant avec une enseigne lumineuse rouge portant son nom d’artiste, Fetch.

CHEZ DAPHNE

Un petit appart d’étudiant qu’elle partage avec une copine. Elle y accueille Justin quand celui-ci quitte Ethan. C’est un peu chargé, mais très sympa.

LA METAMORPHOSE DU LOFT dans la saison 3

Brian a beaucoup changé en deux ans, et son environnement a changé avec lui. Il s’ouvre de plus en plus aux autres. Le sombre décor du début a laissé place à de grandes touches de blanc, et notamment un grand paravent.

Justin dit que “L’orange était le nouveau bleu” : aussitôt, Brian remplace les néons bleus de sa chambre par un panneau lumineux orange.

Brian est obligé de vendre ses meubles. Le loft est fenshued. Il reste le lit, et Justin... Ce qui est le principal.